Il
faut que je parle de cette grande toile qui, au milieu de mon deuxième
pèlerinage, a été réalisée en été 2018, entre le dixième et le onzième
panneau de bois. Il s’agissait d’une commande assez insolite qui m’a
intéressé sur plusieurs plans. Sur le plan financier, mon chauffage
venait de rendre l’âme et je devais le remplacer. Cela tombait à point.
Mais la proposition m’a aussi intrigué, car elle me donnait à la fois
la liberté et une contrainte qui m’emmenait vers de nouveaux horizons.
On m’avait donné un livre et après l’avoir lu, je pouvais peindre ce
que je voulais sans restriction aucune ; peut-être avec ce que j’avais
ressenti à sa lecture. On avait juste choisi ensemble la dimension et
l’orientation de la toile. Le livre c’était La vie secrète des arbres
17 et je savais que celui qui me demandait ça, était un agriculteur
intéressé par la vie du sol et l’interaction des plantes entre elles
dans ce milieu et aussi par l’agroforesterie.
J’ai été très
touché par ce livre et par l’auteur ; par sa connaissance intime de la
forêt et son amour pour elle, la précision de ses analyses et sa
lucidité à propos de la période difficile que la nature est en train de
vivre… Quand il parle des arbres, on saisit que ce sont des individus
qui se comprennent, se soutiennent et s’entraident… Les arbres ont un
autre langage que le nôtre, ils sont solidaires et surtout ils vivent
dans un autre temps que celui des hommes. Un temps insaisissable pour
nous. Un chêne de 80 ans est un adolescent qui va faire ses premiers
glands. Normalement, il n’a accompli qu’une petite partie de sa vie !
Ce lien avec le temps du travail des panneaux m’a conforté et j’ai
pensé que quelques mois pour en faire un semblait tout d’un coup
dérisoire et rendait le temps des arbres presque immobile. Ce n’est
évidemment pas le cas.
Pour une fois,
j’ai réalisé une toile sans personnages humains, parce que ceux qui
l’habitent sont les arbres d’une forêt, des arbres solidaires…
Aux temps immobile des arbres, 2018