<%@LANGUAGE="JAVASCRIPT" CODEPAGE="1252"%> Gilbert Mazliah, artiste, peintre, enseignant, Genève, Suisse
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Peintures
sur relief

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Le peintre pèlerin
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LE PEINTRE PELERIN
par Jean-Michel Gard, directeur du Manoir de la Ville de Martigny / 2001
écrit à l'occasion de l'exposition et de la publication
Sanpai un pèlerinage pictural

Peindre, c’est pour moi un acte « religieux » (du latin ligare, lier) qui permet de relier plastiquement l’intérieur et l’extérieur. C’est une tentative de matérialiser l’invisible en spiritualisant la matière…
La peinture, c’est un voyage… Quand je travaille, j’ai l’impression de parcourir un chemin, avec ses surprises, ses épreuves et ses joies. Je suis toujours curieux de voir où il m’emmène. Je le transforme en marchant – peignant et il me transforme. Chaque toile exprime un état spécifique du parcours et essaie de montrer l’aspect universel d’un problème personnel.

Gilbert Mazliah 1987*

 

Le hasard fait parfois bien les choses et particulièrement avec Gilbert Mazliah.
Quand l’artiste est venu me voir, en début d’année, pour me parler avec passion de son projet de livre et de publication, quelles ne furent pas sa surprise et sa jubilation quand je lui ai annoncé que finalement je pouvais accueillir son exposition dès le mois de mars, car les travaux de rénovation prévus au Manoir pour cette époque ne pourraient pas avoir lieu.
J’avoue que je suis très heureux de pouvoir à nouveau l’accompagner et lui donner ainsi l’occasion d’inaugurer l’exposition projetée et la publication qui la documente, ici même, au Manoir de la Ville de Martigny. Si j’ai accepté ce défi, en urgence, c’est que des liens vraiment exceptionnels relient l’artiste au directeur du Manoir et au Valais.
Il est vrai que Gilbert est un artiste que j’aime et que j’apprécie, sans restriction. C’est un ami que j’ai appris à connaître et que j’ai le plaisir de suivre maintenant depuis plus de quinze ans. Après sa première grande rétrospective en 1987 au Manoir, j’ai eu le privilège de présenter son travail au Château de Villa, à Sierre en 1991, et au Château de la Porte-du-Scex en 1993. Il a participé ensuite à l’exposition « Expression 1994 », et je l’ai bien sûr invité à ma « Centième », en décembre 1998, une exposition qui m’avait permis de réunir une vingtaine de mes artistes préférés.
Il faut dire que le parcours pictural de Gilbert Mazliah est une véritable aventure, pleine de rebondissements et de surprises. C’est aussi un voyage initiatique, une quête spirituelle nourrie par une expérience personnelle extrêmement riche, un voyage d’exploration à travers et au moyen de la peinture, mais un itinéraire défini et codé par toute une série de symboles, tout un système de signes qui appartiennent à sa propre mythologie. Ce voyage, comme on pourra s’en rendre compte dans la rapide évocation qui suit, est d’autant plus passionnant qu’il est en quelque sorte exemplaire. Gilbert ne se perd pas pour autant dans un ésotérisme élitiste. Son langage symbolique est universel et ses références renvoient aux archétypes qui sommeillent dans l’inconscient de chacun de nous.

La première exposition du Manoir résumait vingt ans de carrière et présentait déjà l’itinéraire d’un artiste dont la préoccupation essentielle était d’essayer de se connaître soi–même et d’explorer toutes les dimensions insoupçonnées de son être intérieur. L’exposition s‘appelait d’ailleurs « À la recherche de soi ». Cette rétrospective de Martigny proposait en fait le résultat de ses premières recherches. Celles–ci commencent en 1968 avec des personnages évoluant dans un espace clos, à la limite de l’absurde. Puis cet espace se brise, se courbe et se complexifie, pour devenir cosmique. L’homme renaît, mais d’abord comme un embryon. Il devient le thème central de la toile dans un univers encore indéfini, fluide et aquatique à la fois. Au fil des ans, ce personnage prend forme, puis vient au monde. Il quitte bientôt cet espace pour se poser par terre. Apparaît alors, de 1974 à 1976, une série de personnages, d’abord un enfant à grosse tête, puis une femme, souvent représentée avec une jupe ample et une tête à grande chevelure au–dessus d’un long cou. Parallèlement à cette évolution thématique, le style change également pour devenir plus spontané, frais et vrai comme dans les dessins d’enfant. En 1976, la femme se transforme peu à peu en paysage et devient une montagne.

Expression monumentale, cette montée vers le ciel, cet « alpinisme imaginaire » se traduit par une peinture légère et aérienne. Simultanément l’artiste éprouve le besoin de réaliser des travaux en trois dimensions, des objets, des sculptures transparentes et fragiles qui sont comme le signe d’une conquête progressive de l’espace. C’est le temps des bois bruts, des tissus translucides et des plumes. Le thème des montagnes se transforme, mais va durer jusqu’en 1983, pour se terminer par les très belles « Montagnes aux écritures », véritables journaux intimes du peintre. Après l’ascension, c’est la lente redescente dans le carré de terre et l’érosion progressive de la montagne dans le pré. Le vert prédomine, c’est une phase de vie et de bonheur, dans laquelle éclatent les couleurs. L’homme réapparaît et remplace la montagne. Dans les oeuvres suivantes, cependant, une force inexorable entraîne ce personnage dans la terre. C’est une inhumation, une évocation de la mort. C’est la phase noire, où la terre riche de signes, maternelle, est matérialisée jusque dans la peinture. Mort, certes, mais pour annoncer une nouvelle naissance, un nouveau départ. C’est alors que survient le renard, l’animal totémique et ami, porteur de la vie. De 1984 à 1987 de grandes toiles noires nous montrent un homme qui marche, accompagné ou porteur de ce renard qui guide et entraîne l’artiste vers quelque chose qu’il ne connaît pas encore. La symbolique s’enrichit avec le « Y » de la jonction, jonction hiérogamique du Rhône et de l’Arve, à Genève, mais aussi rencontre de la femme qui permettra à l’artiste d’apprivoiser le noir.
Puis le renard fidèle conduit l’homme qui marche à l’entrée d’une caverne mystérieuse, remplie d’ombres et de signes que l’artiste va devoir décrypter comme un nouvel alphabet. Dans cette caverne, qui nous ramène au mythe de Platon, le marcheur découvre un personnage allongé, image de l’inconscient ou image de l’homme malade, un gisant, porteur en son sein de toutes les maladies de l’humanité et de toutes les horreurs de la guerre.
Ce thème, qui marquait la fin de l’exposition de Martigny, constituait aussi le sujet des premières peintures de l’exposition du Château de Villa, intitulée « De la caverne à la table ». C’est alors que se développe le cycle de la bougie, de la découverte des ombres et des personnages qui se profilent sur les parois de la caverne, la matérialisation en fait des phantasmes propres à l’artiste, cycle qui se termine avec la toile importante « Le baiser », qui permettra au personnage de quitter la caverne. Suivent alors, en 1988, toutes les transformations et les avatars de l’homme–animal : la série des « Bêtléhomme » et des « Ouroboros ». Le cheminement dans ce monde souterrain, sous la conduite du renard, débouche sur une nouvelle étape, sur une phase de transgression ou de transition : le passage d’un état primordial, préhistorique, au monde de la civilisation, à tout ce qui contribue à l’affinement des besoins, du plaisir et du confort qu’illustre le motif de la table, un thème riche, chargé de multiples significations. Il apparaît en 1989, d’abord comme un motif marginal, secondaire, quasi anecdotique, puis va s’imposer peu à peu pour devenir l’élément central de toutes une série de peintures. Ce motif permet à l’artiste de redéfinir l’espace : avec sa surface et ses pieds qui partent vers les quatre points cardinaux, c’est une manière de structurer et d’ordonner la composition. Après les phases de la caverne, de la bougie (qui rappelle la découverte du feu) et de la chasse (aux évidentes références primitivistes), la table amène une idée de civilisation et d’organisation sociale. La table est d’abord représentée seule, puis un personnage s’y installe, bientôt suivi de toute une série de convives. Autour de ce motif « civilisateur » réapparaissent sans cesse, sous d’innombrables variantes, tous les anciens thèmes, enrichis d’une foule de signes et de figures qui constituent le vocabulaire symbolique de l’artiste. Le thème de la table culmine en 1991, avec des toiles comme « L’éveilleur » et « L’Ouroboros à table », dans une symphonie de couleurs festives, rose, vert et or. C’est comme une épiphanie, une synthèse qui, en fait, annonce déjà la fin du cycle. La table, qui se retrouve aussi transformée en pré, thème récurrent des années 1982–83, initiait l’exposition de Vouvry, en 1993. Celle–ci présentait aussi la suite de cette quête et de cette recherche » la table donne naissance au char, qui lui–même va se transformer en lit. Le char, avec son aurige debout, symbolise un nouveau voyage, un déplacement dans le monde des ombres et de la mort; quant au lit, il concrétise la phase du sommeil qui se développe en 1992–93.
Cette thématique, qui n’est pas sans rappeler celle du pré, renvoie d’ailleurs aussi au thème du gisant de la caverne, présenté au Manoir en 1987. On est constamment dans un processus cyclique, il y en a d’ailleurs de multiples dans l’œuvre de Gilbert Mazliah. On retrouve là le monde des ombres, du sommeil et de la mort. Puis le personnage s’éveille, se relève pour prendre un nouveau départ et affronter de nouvelles aventures. Ces thèmes de la table, du char et du lit ont en commun d’être centrés sur des éléments de notre environnement, sur des réalités prosaïques de la vie quotidienne, mais ces éléments sont aussi des lieux de passage, des objets qui lient le matériel et le spirituel, qui servent d’intermédiaires entre la terre et le ciel.

Ce parcours, que j’ai tenté de décrire ici, de façon très résumée, est évidemment illustré avec beaucoup plus de complexité et de richesse dans la foisonnante production du peintre ; il témoigne en tout cas que l’artiste est constamment soucieux d’inscrire ses oeuvres dans une continuité thématique significative. Cette quête intérieure, tournée vers l’introspection, s’est poursuivie avec tout autant d’intensité et de passion au cours de ces dernières années, avec notamment les thèmes du « Carré magique » et de « L’échelle », qui avaient été présentés au Manoir en 1994. Elle a surtout trouvé un renouvellement très fécond dans le magnifique ouvrage « Le présent est un présent », publié en 1996. Ce « petit conte », tiré des « Carnets noirs » de l’artiste (notes de journal commencées en 1983) révèle, non seulement des talents d’écrivain, de poète et de philosophe qu’on ne soupçonnait pas chez Gilbert Mazliah, mais introduit, avec le thème de l’œuf et de la couvaison, la série des peintures intitulées « Inclination », lesquelles annoncent déjà le thème de « Sanpaï », qui a pris naissance il y a tout juste trois ans. Je ne m’attarderai pas sur cet ultime cycle qui fait justement l’objet de la présente publication et me contenterai, pour conclure, de souligner le courage, l’originalité et l’exemplarité de la démarche de l’artiste, une démarche exigeante et profondément humaniste.

Dans le climat de malaise et de confusion qui prédomine déjà depuis longtemps dans le domaine de la création artistique, dans ce monde désabusé où les valeurs opportunistes polluent de plus en plus la notion de l’art, Gilbert Mazliah se distingue comme un pèlerin solitaire, comme le chantre d’une voie spirituelle, axée sur une constante recherche intérieure. Ce qui caractérise aussi l’intérêt d’une expérience comme la sienne, c’est qu’il a toujours su mêler la création à la réflexion, c’est qu’il sait être à la fois le peintre qui crée et le philosophe qui pense, l’artiste qui expérimente et qui s’interroge, et parallèlement le guide et l’enseignant qui peut expliquer et analyser.

 

Texte extrait du livre « SANPAI, un pèlerinage pictural », éditions Ici, Maintenant, 2001


* Citation tirée du catalogue de l’exposition rétrospective du Manoir de Martigny :  « Gilbert Mazliah. Vingt ans de peinture ou à la recherche de soi » (cat. No 20, 1987, page 3)
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