Lhomme quitte lentement ses vêtements
maculés par la boue du ruisseau. Puis il entre, à découvert,
dans le pré. Seuls ses pieds, ses mains et son visage, mi vivant
mi-squelette, sont encore imprégnés par le limon rouge.
Son corps, lui, est nu et propre, comme son âme ouverte à
ce qui lattire.
Au centre de lespace, la femme a soudainement
disparu et, à sa place, sélève une montagne
au sommet de laquelle pousse, près dun lac, un jeune
arbre en boutons de fleurs. |
Il la connaît bien cette montagne !
Il y est venu il y a longtemps. Il se souvient
de sa cime pointue, fière, presque arrogante, qui dominait
la vallée.
Il aimait sisoler dans ces hauteurs inaccessibles.
Le paysage minéral était pur, presque sans végétaux.
Il y faisait de longues randonnées solitaires. Grimpant aux
sommets, touchant les nuages de la tête, traversant dans ses
errances, sur de petits sentiers caillouteux, les flancs pentus et
arides, marchant en équilibriste sur les parois abruptes, flirtant
avec labîme bien loin au dessus de la plaine noyée
dans une mer de brouillard.
En ce temps-là, la montagne lui parlait,
ou plutôt, il pouvait lire sur les parois les écritures
secrètes quelle inscrivait pour lui dans les rochers.
Elle ne répondait pas vraiment à ses questions, mais,
dans un sens, sans qu'il le sache, elle les anticipait. Elle avait
la phrase sibylline et le langage biblique. Même sil ne
comprenait pas vraiment ces montagnes de mots, ce qui comptait pour
lui cétait ce sentiment profond que le sens était
là, présent, et quil importait de le suivre.
Quand lorage soudain faisait rage, il
attendait la prochaine éclaircie, lové en ftus
sur un terre-plein à labri dun rocher en surplomb.
Tout dun coup le ciel se dégageait et il devenait dun
bleu si intense, quil semblait rouge. Alors, il grimpait en
habile alpiniste jusquau sommet où, couronné par
un arc-en-ciel, il contemplait longuement la rondeur du monde au centre
duquel il se dressait, dialoguant avec les cimes neigeuse, le cou
et la tête tendue vers le ciel, les pieds décollant presque
de la terre.
Il se souvient aussi de ce jour funeste
(létait-il vraiment ?) où la montagne avait
tremblé, secouée de fond en comble par un séisme
surprenant par sa force imprévisible. Il nétait
certainement pas dans son destin de mourir à ce moment-là
car, il ne comprends toujours pas pourquoi ni comment, il a pu de
justesse sen sortir. Toute la montagne bougeait dans tous les
sens. Soudainement sa pointe sest brisée, hésitant
sur place, dans un interminable instant, de quel côté
elle voulait tomber, puis sécroulant dun coup le
long de la paroi nord, entraînant au passage le toit de la première
maison, pour sécraser dans la vallée dans un tonnerre
assourdissant. Par chance, ou par miracle, il venait de descendre
juste un peu plus bas, sur le flanc sud, pour observer un troupeau
de bêtes cornues qui, bizarrement, bien que rien apparemment
ne pût les attirer par ici, ni végétation ni aucun
point deau, étaient montés jusque là pour
la première fois. Néanmoins, une immense crevasse souvrit
devant ses pieds, et il faillit y faire une chute fatale. Heureusement,
il tomba en arrière, dans une plus petite qui sétait
creusée dans son dos au même instant. Il sen était
sortit sans trop de mal, avec quelques contusions et ecchymoses. Celles-ci
passèrent lentement du rouge au bleu pour virer au jaune ;
le temps de se remettre et dattendre la fin dune pluie
torrentielle qui dura quarante jours. Le temps, également,
avant de pouvoir remonter jusquau haut de la montagne quil
avait hâte de revoir après tous ces bouleversements.
Effectivement, là-haut tout avait
changé. |